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« Que choisiriez-vous entre du venin de cobra du Mexique et un pesticide Monsanto ? »

Pendant l’été, l’équipe « 10 Milliards à table ! » est partie à la rencontre d’Antony, maraîcher sur l’île de Noirmoutier. Il a reconverti une ancienne exploitation familiale de pommes de terre en un lieu de production diversifiée de fruits et légumes, en petits volumes et en vente directe. Avec son équipe, il accueille des clients chaque jour entre avril et septembre, pour vendre les fruits et légumes cueillis sur les parcelles le matin même.


Pourquoi avoir choisi ce système de limitation des volumes de production et de vente directe ?

La petite exploitation garantit l’écoulement de toute la production et évite de gaspiller. La quantité de fruits et légumes que nous proposons à la vente chaque jour étant restreinte, nos clients savent qu’ils doivent venir tôt et si les melons viennent à manquer le lundi en fin de matinée, on leur demande de revenir plus tard dans la semaine, pour la récolte suivante. En ne générant aucune perte, on évite de recourir à des bradages de prix qui affecteraient la rémunération de nos équipes.

En entrant dans une logique de volume, le producteur accepte de sacrifier la qualité pour la quantité. Les prix sont tirés vers le bas car il doit écouler toute sa production et passer par des intermédiaires de distribution. Il choisira donc de recourir à une main d’œuvre moins coûteuse et donc moins bien rémunérée, d’investir dans des machines industrielles pour augmenter ses rendements, d’utiliser des produits chimiques pour produire efficacement en continu et en dépit des aléas climatiques. Il pénètre alors dans un engrenage sans fin car les investissements réalisés dans les machines et la main d’œuvre doivent être rentabilisés en vendant toujours plus.

Enfin, cette logique de volume se traduit par un déplacement de l’avantage économique vers l’étranger : les machines agricoles sont généralement importées même lorsqu’elles sont assemblées en France, et les ouvriers agricoles embauchés sont très souvent des immigrés rapatriant leurs salaires vers leur pays d’origine.

Un producteur travaillant dans une petite exploitation gagnera donc plus qu’un producteur de grande exploitation ?

Oui, car la petite exploitation qui recours à la vente directe capte l’intégralité de la valeur ajoutée, ce qui n’est pas le cas des grandes exploitations qui doivent revendre à des coopératives ou des grossistes. Ceux qui se spécialisent sur un seul légume n’intéressent pas une multitude de personnes venant acheter des produits variés mais un nombre restreint de gros acteurs dont ils doivent accepter les règles.

Vous insistez beaucoup sur la nécessité de diversifier les parcelles. En quoi est-ce plus durable que de se spécialiser sur un unique produit ?

Une parcelle spécialisée engendre la prolifération d’êtres vivants qui vont se comporter comme des nuisibles et contre l’environnement. Ceux-ci peuvent être des insectes ou ce qu’on appelle à défaut des « mauvaises herbes ». Dans une parcelle cultivée avec de la biodiversité, insectes et « plantes spontanées » font partie du cycle de vie et de croissance des plantes. Aucun produit chimique n’est nécessaire car la nature agit d’elle-même. Par exemple, nous laissons les capucines pousser librement pour prévenir les invasions de pucerons. Les pucerons étant la nourriture phare des coccinelles, celles-ci vont être attirées par nos cultures et éliminer les pucerons à la fois des capucines mais aussi de nos fruits et légumes. En se spécialisant, le producteur ne peut pas bénéficier des bienfaits de cette biodiversité, il est obligé de recourir à des produits externes luttant contre l’environnement et ses composantes.

Également, les grosses exploitations qui cherchent à maximiser des rendements doivent davantage entasser leurs plantes, ce qui favorise la transmission des maladies. Il vaut mieux les espacer pour qu’un cas malade reste isolé, de la même manière qu’en période de Covid, les gens doivent respecter 1 mètre de distanciation sociale. Chez nous, on entoure donc chaque rangée de tomates d’autres espèces pour éviter cette transmission.

Vos prix sont élevés avec 5,30€ le kilo de tomates cœur de bœuf, pourquoi le consommateur serait-il prêt à payer autant ?

En baissant le prix de la tomate, je réduis la rémunération du producteur. Le producteur, moins bien rémunéré, devra produire davantage pour s’en sortir. Il entrera dans le schéma classique de production industrielle, lequel est le plus souvent subventionné pour permettre aux agriculteurs de vivre. Or, les subventions sont payées par les impôts du contribuable lui-même et ce qui est économisé sur un maillon de la chaîne sera payé à un autre.

Pourquoi ne pas afficher la mention « bio » sur vos produits, alors que vous répondez à tous les critères ?

Les produits non-chimiques utilisés en agriculture biologique répondent à la même finalité que les pesticides qu’ils remplacent : éliminer une partie des composés vivants pour permettre aux plantes de mieux pousser. Que choisiriez-vous entre du venin de cobra du Mexique et un pesticide Monsanto ? Dans tous les cas, ces produits ne permettent pas à la biodiversité de s’exprimer et intègrent les plantes dans une relation d’accoutumance à l’image d’une drogue. L’agriculteur part de petites doses qu’il devra augmenter, jusqu’à devoir trouver un substitut plus efficace.


Votre exploitation maraîchère est une solution lorsqu’on habite à la campagne. Mais comment soutenir l’agriculture durable lorsqu’on habite en ville, étant trop éloignés des surfaces agricoles pour acheter en direct et étant submergés d’offres « bio » pas toujours fiables ?

Il faut en effet se méfier des labels et des offres d’agriculture soi-disant raisonnée qui se multiplient dans toutes les grandes surfaces. Si vous trouvez une tomate bio dans un supermarché, d’une marque soutenant le bien-être des producteurs, ne vous méprenez pas. Ces producteurs auront accepté les règles de l’agriculture industrielle, en produisant de gros volumes et en utilisant des produits, certes non-chimiques, mais détruisant la biodiversité.

Il existe toutefois des initiatives d’acteurs de l’agriculture raisonnée venant vendre leur production en zone urbaine. Les AMAP (Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne) soutiennent notamment la proximité entre producteurs locaux et consommateurs finaux. Les consommateurs s’engagent financièrement en payant à l’avance des agriculteurs sur une période donnée, lesquels leur fournissent leurs récoltes en fonction de ce qui a été produit. On retrouve des rapports humains de confiance.

Finalement, quelle serait selon vous la solution pour nourrir l’humanité de demain ?

Pour nourrir l’humanité à plus grande échelle, la solution serait d’avoir plus d’agriculteurs sur un plus grand nombre de petites exploitations, produisant localement sur des parcelles diversifiées, sans recourir à des multinationales. Finalement, il faudrait revenir à une agriculture plus artisanale.

Je pense qu’il faut respecter son outil de travail, que ce soit la terre ou la main d’œuvre. Être agriculteur demande de travailler avec et pas contre la nature et l’homme. En cela, tout agriculteur devrait être un écologiste cherchant à minimiser son impact sur l’environnement global.

D’où doit venir le changement pour aller dans ce sens ?

Le changement doit venir des consommateurs pour qui l’acte d’achat doit devenir synonyme d’engagement. Lorsque vous achetez un produit, vous soutenez une filière d’activité : si vous achetez une casserole en plastique, vous soutenez potentiellement l’industrie du pétrole saoudienne. Les clients doivent aussi accepter de renoncer au « produit zéro défauts ». Nos clients de Noirmoutier préfèrent qu’il y ait une petite bête dans leur pêche plutôt que du poison.

Enfin, l’acheteur doit apprendre à chercher les bonnes informations. Celles mises en avant par les distributeurs peuvent être trompeuses. Des fraises « produites en France » peuvent avoir poussé à Marseille et avoir été transportées en avion. En comparaison, des bananes d’Afrique transportées en bateau auront produit moins de CO2. Au-delà de l’origine des produits, les pratiques de culture et les circuits de distribution doivent être considérés.

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